Le projet Interzones Playground est né du désir de comprendre ce qui s’était construit en Grèce suite aux intenses mouvements sociaux qui ont éclaté à partir de 2008. Il était inspiré à la fois par certaines pratiques liées à la recherche–action comme à celle du documentaire et a été élaboré en suivant un double fil conducteur : d’une part, aller à la rencontre de groupes et de projets indépendants et contestataires qui expérimentaient d’autres façons de vivre que celles prescrites par la Troïka, d’autre part, intervenir sur des panneaux publicitaires abandonnés situés au bord des grands axes routiers.
Nous souhaitions découvrir comment certains groupes s’organisaient durablement face à des mesures qui affectent directement leurs modes de vie. Nous voulions aussi comprendre comment ce contexte instable et menaçant poussait ceux qui parmi ces groupes n’étaient pas investis jusqu’alors dans des dynamiques de lutte à inventer de nouvelles formes d’organisation. C’est au contact de ces bouleversements existentiels et en portant une attention particulière aux changements de trajectoires qu’ils engendrent que nous avons orienté le projet.
Au-delà des principes d’organisation et de l’origine même des projets, nous nous sommes intéressés particulièrement à la place occupée par la créativité dans leur réflexion. Dans cet imaginaire en développement, nous cherchions à déceler des éléments de projection, à discerner des dimensions utopiques sous-jacentes.
Une de nos intuitions fut que les panneaux publicitaires délaissés à travers le pays pouvaient jouer un autre rôle que celui qui leur était dédié, qu’ils pourraient être le vecteur d’histoires qui se racontent dans ces groupes. A travers les expériences et récits enregistrés et retranscrits sur les panneaux, il s’agissait pour nous de proposer d’autres formes d’expression radicalement différentes de celles diffusées communément dans les médias. Images, photographies, ébauches de gestes, récits, toute cette matière précieuse s’est révélée apte à rythmer nos trajectoires. Outre les interventions sur les anciens panneaux de publicité, nous avons par exemple organisé un atelier de dessin et d’impression dans une école expérimentale et une soirée d’improvisation sonore et vidéo dans un lieu occupé.
Ces résurgences sporadiques se confrontaient au réel selon divers degrés de distorsion entre l’élément initial et sa transformation. A la différence d’un film ou d’une autre forme de création documentaire réalisés a posteriori, c’est dans le contexte même d’observation et d’élaboration que se montait et produisait la réapparition des histoires.